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Pensée sans langage

Possibilité d'établir des raisonnements sans les formuler explicitement en mots (même par vocalisation intérieure). Avantages : grande rapidité, compréhension plus profonde. Risques : pas de possibilités de communication, raisonnements intuitifs peut-être faux.

Méthode d'apprentissage : se forcer à ne pas terminer les phrases mentalement élaborées et énoncées.

Le langage est évidemment indispensable pour former l'esprit à la pensée (cf. les humains n'ayant jamais appris à parler, qui montrent un retard pour certaines fonctionnalités intellectuelles) mais n'est qu'un tremplin dont on doit apprendre à se débarrasser.

Rousseau (Discours...hommes) : "Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, en vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours." Suppression de l'imagination et pas obligation du langage. Oubli de la genèse du mot "arbre", justement par superposition de plusieurs arbres particuliers ( -> exemple de nature différente de celle du triangle). "Ne ressemblerait plus à un arbre" : problème car utilisation de la vue et non le la conception. Pour Rousseau : imagination (visuelle) seule alternative au langage.

De même que l'imagination représente un objet particulier et non pas l'objet général, le langage représente l'objet général mais, par son caractère conventionnel, peut ne rien représenter. Le concept indépendant du langage est déficient pour les objets concrets, pour lesquels la communication est fondamentale et la réflexion peu importante, mais supérieur pour la réflexion abstraite car il traite des caractéristiques de l'objet, non apparentes dans le mot.

Hegel (Philosophie de l'esprit) : "Et il est également absurde de considérer comme u désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot." Oui mais pas argument principal : seulement prétexte pour faire passer des idées approximatives et pour ne pas apprendre à manier le langage. Toute pensée doit évidemment être communiquée, donc à l'aide du langage qui permet la rigueur (mais n'en est pas une garantie, puisqu'on peut exprimer dans un langage des absurdités), de manière la plus concise possible, mais cette expression n'est pas fondamentale pour l'élaboration du concept.

Sens de la conception : nouveau sens, intellectuel, ayant pour objet la représentation mentale des objets, et non le signifiant (à noter que ceci peut aussi être considéré comme un langage). Pas inutilité du langage, mais existence d'un "langage" méconnu (en fait d'un autre mode de représentation) de nature non phonétique et uniquement intellectuelle, non directement communicable. En fait, ceci n'est qu'un langage semblable aux signes visuels, auditifs, apportés par les nerfs sensitifs, mais purement interne, qui correspond probablement à l'activité d'un (groupe de) neurone (s). Ce langage est beaucoup plus rapide que le langage courant. Un concept est ainsi associé à d'autres images, sensations, mots par l'intermédiaire des champs conceptuels. Inconvénients : ce langage n'est pas directement communicable, et de plus il offre des capacités d'oubli importantes auxquelles les autres sens ne sont pas soumis (probablement car l'éducation et les nécessités quotidiennes nous entraînent à nous souvenir d'images, de conversations, ce qui implique que cet obstacle peut être levé à terme).

Exemple de concept et d'oubli : quand on oublie ce qu'on voulait dire, on a un "flash" lorsqu'on le retrouve (cf. infra). Ce flash est développable potentiellement en langage normal.

Ainsi la traduction en langage courant est un garant de la logique (supposée attribuée au langage courant) du concept (mais n'est pas forcément nécessaire) et permet à ce mode de représentations de contourner l'argument de Wittgenstein.

Evolution historique et variabilité géographique des lois du langage mais constance de la pensée (raisonnements, logique à peu près universels) -> pensée indépendante du langage ? Mais peut-être changement de la pensée transcrite avec changement de la langue (absolument indétectable sauf pour le traducteur qui peut ne pas vouloir reconnaître son incapacité à traduire correctement). Mais si un enchaînement logiquement valide dans une langue équivaut à un autre logiquement valide dans une autre, isomorphisme donc même raisonnement -> faux problème (car par exemple en mathématiques, même si pas d'ensemble R des réels en dehors des modèles qu'on en donne, puisque certaines propriétés indécidables, le raisonnement peut se faire sur R abstraitement et l'isomorphisme garantit sa validité dans tous les modèles car si une preuve existe dans un modèle elle existe dans tout autre, et si on a une propriété indécidable elle l'est dans tout modèle, sauf si on ajoute un axiome, auquel cas le langage de départ est insuffisant : soit pas de pensée sans langage et alors l'élargissement ne pose pas de problèmes de traduction, soit pensée sans langage et l'élargissement permet d'exprimer cette nouvelle idée : c'est bien l'idée qui crée le mot).

Autre argument : situation où le sujet sait ce qu'il cherche sans savoir l'exprimer (ex chose à dire oubliée) : reconnaissance du "bon" souvenir quand on le retrouve -> représentation interne autre que par le langage (et dans ce contexte, pas utilisation de l'imagination, soit des sens) (idée oubliée : on se souvient qu'il reste quelque chose et on le reconnaît quand il arrive).

Toute théorie sur l'existence ou la non-existence de l'ineffable est infalsifiable (sauf par une expérience qui ne peut par définition qu'être individuelle), d'où la nécessité de la prouver avec d'autant plus de soin (si c'est possible ; c'est a priori le cas puisque la raison peut prouver, comme en mathématiques, des prédicats sur des objets échappant à l'expérience, même s'ils ont une contrepartie réelle, ce qui est forcément le cas pour les phénomènes ineffables si on veut prouver leur existence [mais -> faute de logique : non car seulement possibilité de la démonstration en cas d'existence, et pas démonstration elle-même]).

La conviction est-elle à la raison ce que le langage est à la parole=contrainte qui dirige. Langage=instrument nécessaire à la raison ? car capacité de nier, objectivité (sauf si doute imprimé dans la conviction). Peut-on penser vraiment contre ses convictions ?

Il existe forcément une représentation interne des idées indépendantes du langage. En effet quand le cerveau fabrique une phrase, la phrase en cours de fabrication (une phrase où un mot manque) ne signifie rien, et pour poursuivre la construction le cerveau a besoin d'un référent déjà connu, afin de le traduire avec des mots. D'autre part, pour que cet argument ne s'applique pas aussi à ce référent ( -> bouclage infini), il faut qu'il soit non divisible, alors qu'une phrase peut être sectionnée (et même doit l'être lors de son élaboration, d'où le présent argument) [ou du moins que le type de divisibilité de cet objet ne soit pas spatial ou temporel, car alors l'argument de l'élaboration ne s'applique pas]. Certains prétendent que ce référent non verbal est l'image : mais en écrivant un texte, on ne se représente pas tous les mots qu'on écrit ; de plus les images représentent difficilement des relatiosn complexes ; et la représentation non verbale utilisée pour l'élaboration d'une phrase doit représenter l'idée totalement et sans ambiguïté (au contaire de l'image qui est souvent un corollaire évoquant l'idée mais insuffisamment explicite pour la retrouver univoquement). Enfin, la construction de l'image elle-même pose problème : l'image n'a pas à être construite lorsque l'objet a déjà été vu, mais lorsque l'objet ou l'idée à représenter sont nouveaux, l'élaboration de l'image se fait par combinaison d'éléments connus antérieurement, mais cette combinaison d'éléments ne se réduit pas à ces éléments : la construction, la mise en relation de ces éléments nécessite une représentation de ces relations (même si cette relation était aussi représentée par une image, le lien entre les deux images reviendrait à appliquer l'idée représentée par une image à une autre image, ce qui oblige encore à envisager une nouvelle relation : les relations entre images sont aussi problématiques). Donc : nécessité d'une représentation interne des idées, pouvant représenter et appliquer des relations. Cette représentation n'est ni le langage (divisible temporellement) ni l'image (divisible spatialement).

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