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Scepticisme métaphysique, paradoxe socratique, démarche scientifique...

Ce texte considère : d'une part, la nécessité de certains postulats (existence de soi, raison, choix de la démarche scientifique) ; d'autre part, les problèmes liés aux paradoxes de raisonnement circulaire, entre autres le paradoxe socratique (est-ce ignorer que de connaître son ignorance ? ) et la fondation de la science sur la raison (la science découle de la raison, mais tente de l'expliquer au travers des neurosciences : y a-t-il un niveau plus fondamental que l'autre ? ).

La première question est motivée par la volonté d'aboutir à un discours dépassant le scepticisme, voire un discours pouvant inclure la démarche scientifique. La seconde lui est liée par le fait que les cercles logiques ont parfois été utilisés pour masquer la nécessité de certaines hypothèses en métaphysique.

On cherche ici à apporter quelques éléments de réponse.

1. L'irréfutabilité du scepticisme

Par certitudes, nous entendons une connaissance vraie (démontrée) acquise sans aucun présupposé (et non, au contraire, un présupposé qu'une foi aurait transformé en certitude). Le scepticisme est alors l'absence de toute certitude.

Le scepticisme ainsi compris semble irréfutable : une connaissance démontrée (quel que soit le statut de cette démonstration : de type empirique, mathématique ou autre) s'appuie sur un raisonnement, lequel se fonde sur des postulats logiques. L'usage nécessaire de la logique pour l'acquisition d'une certitude interdit donc que le scepticisme soit réfuté de manière certaine. Ainsi le cogito cartésien présuppose-t-il que le sujet admet la signification du "ergo" de "Cogito ergo sum" : l'existence du sujet, qui semble la voie de réfutation du scepticisme la plus simple, cache donc un présupposé.

L'irréfutabilité du scepticisme semble un résultat plutôt ravageur, qui peut gêner certains. En fait, il possède une interprétation relativement naturelle (nous n'entendons rien prouver dans les lignes suivantes, simplement donner une interprétation non choquante pour l'intuition courante). On admettra volontiers que l'acquisition de certitudes requiert la pensée ; dès lors, la pensée est nécessaire à une réfutation du scepticisme. Or la pensée n'est manifestement pas une caractéristique nécessaire de tout objet, puisque certains objets ne pensent pas. L'irréfutabilité du scepticisme ne fait donc qu'affirmer qu'un objet non-pensant ne peut acquérir de certitudes. Par là, une recherche pertinente de certitudes ne peut se faire sans présupposé, mais doit postuler (ou plutôt poser comme définition de son objet) la pensée. À noter que tout présupposé peut être perçu non comme une affirmation de portée universelle, mais comme une simple définition du champ du discours, restriction de l'intérêt du sujet aux seuls objets en accord avec ce postulat (vision qui peut assez naturellement découler d'une perception platonicienne des mathématiques).

2. Moi et extérieur - Le paradoxe socratique

Dans la suite de ce discours, nous considérerons acquis les présupposés qu'il existe un moi, avec sa conscience et sa volonté, et que ce moi possède des sensations. De plus, ce moi connaît les principes du raisonnement logique (du moins, il les applique).

Le sujet fait alors le constat qu'il ne contrôle pas toutes ses sensations, ceci au sens où certaines de ces sensations ne sont pas en accord avec la volonté qu'il en a. Cela signifie que ces sensations ne sont pas lui : l'existence de sensations non contrôlées, et d'une volonté (qui définit la notion de contrôle) suffisent à faire connaître l'existence d'un extérieur. Cet extérieur n'est pas forcément ce que le langage courant appelle par ce nom : il peut comprendre, par exemple, les éléments du "moi" (au sens plus usuel de "mon corps") que je ne contrôle pas totalement.

Se pose alors la question de savoir quel degré de connaissance il est possible d'atteindre sur cet extérieur. En postulant qu'il est soumis aux mêmes lois de logique que moi, je peux savoir qu'il est assez complexe ("complexe" étant pris en un sens précis) pour engendrer les sensations que je ne contrôle pas. Ceci semble être la seule connaissance de l'extérieur à laquelle le sujet puisse accéder de manière certaine : il est impossible, sans autre présupposé, de connaître ce qui ne se rapporte pas directement à la structure purement logique d'une relation entre deux objets (moi et l'extérieur).

Les résultats d'impossibilité de connaître (mon existence, la structure du monde, la validité de la logique) s'accumulent. Nous avons tenté de montrer, dans la partie précédente, que le raisonnement logique devait être présupposé, sans pouvoir être justifié a priori. Ce qui n'est en fait qu'une reformulation du paradoxe socratique bien connu sur la connaissance de mon ignorance. Si je ne peux pas avoir de certitude, qu'est le statut de cette dernière conclusion ?

En fait, le paradoxe est levé dès que l'on considère que le raisonnement qui mène à cette conclusion se fonde sur la logique : la logique ne fait que prouver qu'elle-même n'est pas justifiable avec des moyens logiques. Autrement dit, la limitation est interne à la logique, et non absolue (et n'est donc pas une certitude) : dans le cadre de la logique, et uniquement dans ce cadre, la logique ne peut se justifier elle-même. La conclusion sur l'irréfutabilité du scepticisme n'a donc aucun caractère absolu en apparente contradiction avec elle-même. La dernière ironie tient au fait de constater que le raisonnement ci-dessus lui-même utilise la logique, et est donc soumis aux mêmes restrictions.

3. La démarche scientifique en métaphysique

Si la recherche de certitudes semble ainsi limitée, il y existe une alternative : le sujet peut, plutôt que de vouloir acquérir une connaissance certaine, rechercher des explications (que l'on pourrait qualifier de plausibles) à ses sensations. Par recherche d'explications de sensations, nous entendons la supposition d'une structure de l'extérieur qui rende compte en termes rationnels des sensations que l'on en a, de la manière la plus satisfaisante possible.

La condition « de la manière la plus satisfaisante possible » peut sembler vague et mal fondée ; en fait elle s'appuie sur la notion de complexité logique, qui a une définition précise. De plus cette définition est d'ordre logique, ne présupposant aucune connaissance de l'extérieur, et est ainsi acceptable à ce stade de notre démarche.

Le choix de cette démarche peut sembler arbitraire : en effet, il semble que le fait d'admettre le raisonnement logique ne permette pas de discriminer (en un sens qui tendrait vers une notion morale) les différents choix possibles. En fait, le choix scientifique n'est pas meilleur qu'un autre en un quelconque sens moral, mais possède une particularité qui le singularise à l'exclusion de tout autre. La logique permet en effet de définir les notions d'explication et de complexité, et le choix scientifique est par définition celui qui cherche à obtenir l'exlication la plus simple (i.e. avec le moins d'hypothèses arbitraires) des sensations. Le choix scientifique, à défaut d'être meilleur en un sens quelconque, est ainsi du moins tout à fait spécifique, et cette scpécifité n'est pas a posteriori mais définie antérieurement par l'usage de la raison.

Une fois ce choix opéré, tout l'échafaudage de la science usuelle est justifié. Cela inclut par exemple le fait que ce que nous voyons existe, est composé d'atomes et ainsi de suite, redonnant place à un discours non entièrement limité à l'existence du moi. Cela ne signifie pas que les explications apportées ont un quelconque degré de vérité (puisque le scepticisme semble irréfutable), mais que ces explications sont simplement les plus simples qui aient encore été trouvées pour expliquer nos sensations.

4. Le paradoxe de l'explication matérialiste de la raison

En particulier, les sciences du cerveau humain peuvent être élaborées à ce stade. Elles possèdent la propriété singulière de tenter d'expliquer la raison humaine et toute la logique en termes scientifiques. Ceci est au fondement des hypothèses matérialistes (le matérialisme est apparu bien avant les neurosciences ; mais l'idée que les lois de la physique puissent s'appliquer à l'esprit humain est contemporaine de l'émergence du matérialisme). Selon ces hypothèses, la matière ainsi que les lois physiques priment sur l'esprit humain, qui n'en est qu'une des nombreuses manifestations.

Cependant, si la possibilité pour la science de refonder la raison peut impressionner, elle n'est pas en soi si étonnante : elle peut être interprétée simplement comme la conséquence d'une cohérence interne dans le développement de la science à partir de la raison, et non comme une preuve que la science peut refonder la raison puisque justement la science utilise continuellement des raisonnements, point qu'il ne faut pas perdre de vue lors d'un examen des thèses matérialistes (restriction). Ces justifications a posteriori ont souvent été considérées comme des preuves de cohérence, voire comme des preuves d'existence de l'objet considéré (on pense par exemple à la fameuse preuve de l'existence de Dieu par Descartes). Il n'y a en fait dans ces raisonnements ni preuve, ni paradoxe.

On pourra objecter que si la science utilise la logique dans son élaboration, une fois ses thèses développées, elle peut s'en libérer, et que l'explication du monde par les lois physiques demeure, même si l'obtention de ces lois est passée par des voies rationnelles. Mais ce point de vue ne prend pas enconsidération le fait que la notion d'explication par les lois physiques est elle-même une notion d'ordre logique, et que la science ne peut donc pas se passer de logique, non seulement dans ses méthodes, mais encore dans son objet même (développement).

Il semble ainsi que la science ne puisse pas (du moins pas par cette méthode) prétendre expliquer a posteriori la raison, qu'elle utilise pour son fondement.

Conclusion

Nous avons tenté d'examiner quelles hypothèses pouvaient conduire à un discours non exclusivement sceptique, voire à un discours scientifique.

Il semble ainsi que sans aucun présupposé, le scepticisme ne puisse être nié ; mais que cette irréfutabilité n'est pas un obstacle si surprenant.

On est alors amené à faire les hypothèses de l'existence du moi et de la validité des principes de raisonnement. Ceci conduit au paradoxe socratique, qui semble fournir un absolu (l'inconnaissance) mais qui n'est qu'en apparente contradiction avec l'irréfutabilité du scepticisme.

À partir de ces hypothèses, la démarche scientifique peut être sinon justifiée, du moins particularisée. Le paradoxe de l'explication, en retour, de la raison par la science, qui fonde le matérialisme, n'est lui aussi qu'apparent.
Nous espérons avoir ainsi apporté quelques ébauches d'éléments de réponse aux problèmes posés par ces paradoxes.

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